Présentation
               Célèbre ingénieur suédois dont les multiples brevets d’invention firent la renommée tout au long de la première moitié du XXème siècle, Johan Axel Holmström est aujourd’hui surtout connu comme l’un des principaux pionniers de l’aviation scandinave. La redécouverte de deux importants tableaux de sa main nous invitent à reconsidérer de manière significative son œuvre artistique, et à le replacer au cœur de l’avant-garde européenne de son temps. Né en 1870 à Gävle, sur la côte baltique de Suède, au sein d’une famille de commerçants, Holmström montre très tôt de réelles dispositions pour le dessin, mais également pour les sciences et les mathématiques. Peu avant ses vingt ans, il obtient une bourse d’étude pour intégrer l’école des arts décoratifs de Stockholm, avant de parfaire sa formation en Allemagne, successivement à Berlin, Munich et Düsseldorf. Il effectue également à l’époque un séjour d’étude à Paris, ville que le succès de l’exposition universelle de 1889 avait confortée dans la position de capitale mondiale des arts. Sergent-major au sein du corps de Gävle en 1889, il devient lieutenant du mouvement en 1890, et intègre le bureau de rédaction de son siège à Stockholm. Il y rencontre Augusta Härnström qu’il épouse en avril 1892, et avec laquelle il a quatre enfants entre 1893 et 1898. Devenu père de famille (nombreuse), Holmström travaille comme portraitiste, affichiste, illustrateur mais également photographe. Il crée sa propre agence de publicité à Gävle et connait un franc succès en œuvrant pour les grands industriels suédois, réalisant de multiples enseignes. Au cours des années 1896 et 1897, il peint ainsi une succession de grandes toiles figurant l’intérieur des forges de Sandviken, ainsi qu’un panorama de l’usine. Combinant l’esthétique aux techniques de l’industrie, ces peintures illustrent bien la dualité créative propre à Holmström. Publicitaire ingénieux, ce dernier se fait particulièrement remarquer au salon industriel et agricole de Gävle de 1901 en présentant pour le compte de la verrerie Gefle une bouteille de bière de vingt mètres de haut, constituée de milliers de bouteilles vides. Parallèlement, Holmström développe en autodidacte une activité d’ingénieur et s’intéresse en premier lieu à l’aviation tout juste naissante. Figurant parmi les précurseurs dans le domaine de la recherche aéronautique, il met au point dès 1897 plusieurs modèles innovants d’aéronefs avec des moteurs en caoutchouc et expérimente les premiers prototypes propulsés par des fusées. En 1901, il dépose le brevet d’une machine qui révolutionne les différents procédés de gravure et de reproductions de clichés. Appelée tour à tour machine Axel, Sirius, Mignon ou Axelette, elle tient sa particularité dans une mécanique huilée où les lames disposent avec une très grande précision le liquide de gravure sur la plaque servant de support. Diffusée en Allemagne et aux États-Unis, elle connaît un succès mondial et devient rapidement leader du marché, une place qu’elle occupe pendant plusieurs décennies, fournissant à partir de 1905 le New York Times et le Chicago Tribune.
Cette machine à graver fait en quelques années la fortune d’Holmström, et lui permet de se vouer plus librement à la peinture. Il effectue au début du siècles plusieurs séjours prolongés en France et en Italie, et adopte pour sa palette une technique pointilliste, inspirée des néo-impressionnistes et du divisionnisme italien. A partir de 1903, il participe aux expositions internationales de Rome, suscitant l’intérêt de la critique italienne. En effet, dans son compte-rendu de la Mostra romaine de 1904 paru dans La Tribuna, le critique italien Primo Levi décrit Holmström comme un peintre « extraordinairement talentueux » issu de la « jeunesse nordique[1] », qui a su se placer peu à peu parmi les premiers peintres modernes de son pays. Aux yeux du critique, sa peinture respire « la fraîcheur de Grieg[2], la complexité de Björnson[3] et la profondeur d’Ibsen[4] ». Pointillistes, les œuvres aux atmosphères suggestives réalisées par Holmström à l’époque sont en effet le plus souvent empreintes d’un symbolisme puisé dans la littérature scandinave. Peu après son retour en Suède, l’artiste déménage avec sa famille à Stockholm. S’il se tourne à nouveau vers l’ingénierie aéronautique, il continue selon son biographe Jan Malmstedt d’exposer ses peintures et de se forger une réputation de peintre novateur. Ainsi, en octobre 1913, alors qu’il procède au lancement de son célèbre hydravion baptisé Havsörnen[5], le premier avion complètement suédois, le journal Norrlandsposten souligne que Holmström est non seulement un ingénieur doublé d’un inventeur hors-pair, mais également « un grand artiste[6] ». Néanmoins, force est de constater que le peintre semble peu à peu laisser la place à l’ingénieur en délaissant ses pinceaux pour s’occuper plus exclusivement des inventions à l’origine de sa fortune. Il poursuit l’amélioration de sa machine à graver et établit une usine à Philadelphie, aux États-Unis. Enfin, dans les années qui suivent, Holmström assoit définitivement sa notoriété d’inventeur en déposant plusieurs nouveaux brevets, notamment la première bombe spécialement conçue pour être larguée depuis un avion, l’un des premiers moteurs multicylindres et un dispositif révolutionnaire de refroidissement de l’air, ancêtre de la climatisation moderne.
 
Daté de l’année 1903 et situé à Rome, le tableau qui nous intéresse ici constitue un très rare témoignage du corpus peint par Holmström lors de son séjour italien. Dans un format vertical qui frappe par ses imposantes dimensions, l’artiste propose un sujet pour le moins singulier en donnant à voir des fonds marins où cohabitent sirènes et poissons, dans un décor dominé par les ruines d’une cité engloutie recouverte de coraux. Bien que l’obélisque du premier plan semble davantage se rattacher à la Rome antique, il est tentant d’y voir une évocation de l’Atlantide, cette île gigantesque et mythique dont l’enfouissement sous les flots par Zeus fut décrit par Platon. Il est également très probable que le peintre fasse référence aux mythologies scandinaves et nord-germaniques dont sont issues les deux sirènes, créatures légendaires et maléfiques qui occupent le centre de la composition. Quoi qu’il en soit, il est intéressant de noter qu’Holmström parait tout autant obsédé par la conquête des airs que par l’exploration du fonds des océans. Si ces projets aéronautiques sont bien réels, sa perception toute picturale des bas-fonds aquatiques s’inscrit dans une perspective nettement plus poétique, où l’imaginaire fantastique se fait prépondérant. Outre l’originalité de son sujet, cette œuvre se singularise par sa technique, mêlant la touche fragmentée propre au divisionnisme à une gamme chromatique très sombre, dominée par un camaïeu de vert et de bleu seulement contrasté par l’orange vif des coraux. En ce sens, le peintre applique de manière insolite à un paysage sous-marin son interprétation personnelle des recherches scientifiques de Michel-Eugène Chevreul et d’Ogden Rood sur la perception des couleurs, dont il a certainement pu assimiler les principes auprès des néo-impressionnistes à Paris.
Cette toile a très vraisemblablement fait partie des envois de l’artiste lors de sa première participation à l’exposition internationale de Rome en 1903. En effet, parmi les œuvres exposées figure un tableau dont le titre, « Le Secret de la Mer[7] », semble directement renvoyer au sujet qui nous intéresse ici, empreint d’une atmosphère mystérieuse et proprement symboliste. Si très peu de peintures d’Axel Holmström ont été à ce jour préservées, celle que nous présentons a la particularité d’avoir été photographiée par l’artiste lui-même dans son atelier de Gävle, peu après son retour d’Italie (fig. 2), aux côtés d’autres œuvres dont l’une, d’un format horizontal imposant, peut sans doute être identifiée au tableau intitulé « Le flot des vagues », également présenté en 1903 à l’exposition internationale de Rome.
 
 
Fig. 2 :  Johan Axel Holmström, Vue de l’atelier de l’artiste à Gävle (avec « Le Secret de la Mer » tout à droite), circa 1905, tirage photographique sur papier albuminé, collection particulière.

[1] Malmstedt, Jan, Vingar på vattnet. Boken om uppfinnaren, flygpionjären, konstnären [Des ailes sur l’eau. Le livre sur l’inventeur, le pionnier de l’aviation, l’artiste Axel Holmström], Trafik-Nostalgiska Förlaget, 2014, p. 57-58.

[2] Edvard Hagerup Grieg (1843-1907) est un compositeur et pianiste norvégien de la période romantique. Sa découverte en 1863 du folklore norvégien et de ses danses paysannes en fait toute sa vie un militant inépuisable d’un art musical national. Grand harmoniste (auquel ne seront pas indifférents Claude Debussy ou Maurice Ravel), ses œuvres les plus célèbres dans le domaine orchestral sont le Concerto pour piano en la mineur, et Peer Gynt, musique de scène composée pour le drame d’Henrik Ibsen.

[3] Bjørnstjerne Martinus Bjørnson (1832-1910) est un romancier et dramaturge norvégien, présenté comme l’un des plus grands écrivains de l’histoire de la littérature norvégienne avec Henrik Ibsen. Auteur des paroles de l’hymne national de Norvège, il reçoit le prix Nobel de littérature en 1903.

[4] Henrik Johan Ibsen (1828-1906) est un poète et dramaturge norvégien, considéré comme l’un des plus grands hommes de lettres de la littérature scandinave, nominé par trois fois au prix Nobel de littérature, successivement en 1902, 1903 et 1904.

[5] Le moteur de l’hydravion baptisé Havsörnen (littéralement « l’aigle de mer ») est un Argus de cent chevaux aujourd’hui conservé au Technical Museum de Stockholm.

[6] Malmstedt, 2014, p. 58.

[7] “I Italien deltog Axel Holmström i sin första utställning med dukar som bar fantasieggande namn ; man rar anta att namnen speglar motivens karaktär : Irrsken, Vågens saga och Havets hemlighet.” [« En Italie, Axel Holmström a participé à sa première exposition avec des toiles aux titres imaginatifs, on soupçonne que les noms reflètent la nature des motifs : Lumière du soir, Le flot des vagues, et Le Secret de la Mer. »], in Malmstedt, 2014, p. 56.

 

Tout comme « Le Secret de la Mer », le tableau que nous présentons, daté de l’année 1903 et situé à Rome, fait partie du corpus peint par Holmström lors de son séjour dans la ville éternelle. L’artiste applique ses recherches divisionnistes à un paysage panoramique déployé dans un imposant format horizontal. Outre la fragmentation de la touche, cette grande toile se rapproche de la démarche impressionniste dans la volonté prégnante ici de capter une atmosphère en traduisant les effets lumineux d’une fin de journée. Le sujet traité n’en demeure pas moins mystérieux et empreint d’un certain symbolisme. En effet, Holmström associe ici une petite embarcation aux allures de gondole vénitienne à ce qui ressemble à gauche à une ruine totalement recouverte de verdure, qui laisse apparaître la forme suggestive d’un crâne. Dans sa récente biographie consacrée à l’artiste, Jan Malmstedt précise que lors d’une interview accordée à la presse, Holmström aurait déclaré qu’il était l’inventeur de sa propre technique picturale[1]. Bien que sa façon d’apposer de petites touches verticales et horizontales soit tout à fait unique, elle se rapproche des néo-impressionnistes qu’il a pu observer à Paris, et surtout des toiles pointillistes des italiens Giuseppe Pellizza da Volpedo (1868-1907) et Giovanni Segantini (1858-1899), disparu quelques années plus tôt, mais dont il avait certainement connaissance.

Cette toile a également très vraisemblablement fait partie des envois du peintre lors de sa première participation à l’exposition internationale de Rome en 1903. Parmi les œuvres exposées figure un tableau dont le titre en vieux suédois « Irrsken[2] » n’a pas vraiment d’équivalent en français mais peut être traduit comme « Lumière du soir » (soit l’opposé de « Norrsken » qui signifie « Aurore »). L’atmosphère lumineuse de notre paysage renvoie indubitablement au soir, et elle se teinte d’un certain symbolisme par son association avec le crâne humain. La mort paraît ici évoquée comme le terminus d’un voyage (en gondole) éclairé par les dernières lueurs du jour. Si très peu de peintures d’Axel Holmström ont été à ce jour préservées, celle que nous présentons a la particularité d’avoir été photographiée aux côtés de l’artiste lui-même dans son atelier de Gävle, peu après son retour d’Italie (fig. 1).

  

Fig. 1 :  Johan Axel Holmström, Autoportrait dans l’atelier à Gävle (avec « Lumière du soir » en haut à gauche et « Le Noël de l’orphelin » à droite), circa 1905, tirage photographique sur papier albuminé, collection particulière.



[1] Malmstedt, 2014, p. 56.

[2] “I Italien deltog Axel Holmström i sin första utställning med dukar som bar fantasieggande namn ; man rar anta att namnen speglar motivens karaktär : Irrsken, Vågens saga och Havets hemlighet.” [« En Italie, Axel Holmström a participé à sa première exposition avec des toiles aux titres imaginatifs, on soupçonne que les noms reflètent la nature des motifs : Lumière du soir, Le flot des vagues, et Le Secret de la Mer. »], in Malmstedt, 2014, p. 56.

 

Œuvres
Biographie

Né le 23 août 1870 à Gävle, sur la côte baltique de Suède, Holmström a grandi dans une famille de commerçants protestants. Montrant très tôt de réelles dispositions pour le dessin, il voue un intérêt précoce pour les arts, mais également pour les sciences et les mathématiques. Peu avant ses vingt ans, il obtient une bourse d’étude pour intégrer l’école des arts décoratifs de Stockholm (l’équivalent de l’actuelle Konstfack), avant de parfaire sa formation en Allemagne, successivement à Berlin, Munich et Düsseldorf. Il effectue également à l’époque un séjour d’étude à Paris, ville que le succès de l’exposition universelle de 1889 avait confortée dans la position de capitale mondiale des arts. En marge de ses études, Holmström met ses talents artistiques au service de l’Armée du Salut, mouvement international protestant fondé en 1865 par le pasteur méthodiste William Booth (1829-1912), qui avait connu un important rayonnement en Suède à partir des années 1880. Sergent-major au sein du corps de Gävle en 1889, il devient lieutenant du mouvement en 1890, et intègre le bureau de rédaction de son siège à Stockholm. Il y rencontre Augusta Härnström qu’il épouse en avril 1892, et avec laquelle il a quatre enfants entre 1893 et 1898. Devenu père de famille (nombreuse), Holmström travaille comme portraitiste, affichiste, illustrateur mais également photographe. Il crée sa propre agence de publicité à Gävle et connait un franc succès en œuvrant pour les grands industriels suédois, réalisant de multiples enseignes. Au cours des années 1896 et 1897, il peint ainsi une succession de grandes toiles figurant l’intérieur des forges de Sandviken, ainsi qu’un panorama de l’usine. Combinant l’esthétique aux techniques de l’industrie, ces peintures illustrent bien la dualité créative propre à Axel Holmström. Publicitaire ingénieux, ce dernier se fait particulièrement remarquer au salon industriel et agricole de Gävle de 1901 en présentant pour le compte de la verrerie Gefle une bouteille de bière de vingt mètres de haut, constituée de milliers de bouteilles vides.

 

Parallèlement, Holmström développe en autodidacte une activité d’ingénieur et s’intéresse en premier lieu à l’aviation tout juste naissante. Figurant parmi les précurseurs dans le domaine de la recherche aéronautique, il met au point dès 1897 plusieurs modèles innovants d’aéronefs avec des moteurs en caoutchouc et expérimente les premiers prototypes propulsés par des fusées. En 1901, il dépose le brevet d’une machine qui révolutionne les différents procédés de gravure et de reproductions de clichés. Appelée tour à tour machine Axel, Sirius, Mignon ou Axelette, elle tient sa particularité dans une mécanique huilée où les lames disposent avec une très grande précision le liquide de gravure sur la plaque servant de support. Diffusée en Allemagne et aux États-Unis, elle connaît un succès mondial et devient rapidement leader du marché, une place qu’elle occupe pendant plusieurs décennies, fournissant à partir de 1905 le New York Times et le Chicago Tribune.

 

Cette machine à graver fait en quelques années la fortune d’Axel Holmström, et lui permet de se vouer plus librement à la peinture. Il effectue au début du siècles plusieurs séjours prolongés en France et en Italie, et adopte pour sa palette une technique pointilliste, inspirée des néo-impressionnistes et du divisionnisme italien. A partir de 1903, il participe aux expositions internationales de Rome, suscitant l’intérêt de la critique italienne. En effet, dans son compte-rendu de la Mostra romaine de 1904 paru dans La Tribuna, le critique italien Primo Levi décrit Holmström comme un peintre « extraordinairement talentueux » issu de la « jeunesse nordique», qui a su se placer peu à peu parmi les premiers peintres modernes de son pays. Aux yeux du critique, sa peinture respire « la fraîcheur de Grieg, la complexité de Björnson et la profondeur d’Ibsen». Pointillistes, les œuvres aux atmosphères suggestives réalisées par Holmström à l’époque sont en effet le plus souvent empreintes d’une certaine forme de symbolisme puisée dans la littérature scandinave. Peu après son retour en Suède, l’artiste déménage avec sa famille à Stockholm. S’il se tourne à nouveau vers l’ingénierie aéronautique, il continue selon son biographe Jan Malmstedt d’exposer ses peintures et de se forger une réputation de peintre novateur. Ainsi, en octobre 1913, alors qu’il procède au lancement de son célèbre hydravion baptisé Havsörnen, le premier avion complètement suédois, le journal Norrlandsposten souligne que Holmström est non seulement un ingénieur doublé d’un inventeur hors-pair, mais également « un grand artiste». Néanmoins, force est de constater que le peintre semble peu à peu laisser la place à l’ingénieur en délaissant ses pinceaux pour s’occuper plus exclusivement des inventions à l’origine de sa fortune. Il poursuit l’amélioration de sa machine à graver et établit une usine à Philadelphie, aux États-Unis. Enfin, dans les années qui suivent, Holmström assoit définitivement sa notoriété d’inventeur en déposant plusieurs nouveaux brevets, notamment la première bombe spécialement conçue pour être larguée depuis un avion, l’un des premiers moteurs multicylindres et un dispositif révolutionnaire de refroidissement de l’air, ancêtre de la climatisation moderne. Il meurt en 1954 à Monaco. 

 
Expositions