Présentation
D’abord formé à l’école des Beaux-arts de Lyon, Alexandre Graverol se rend à Paris pour intégrer aux Beaux-arts l’atelier de Pierre Puvis de Chavannes. En observant ses premières compositions, ce dernier aurait d’emblée perçu les talents singuliers du jeune artiste, en rupture avec le naturalisme de son temps : « Graverol, lui dit-il, vous avez l’intelligence de l’art ». Le peintre s’associe très vite aux milieux symbolistes de Paris et de Bruxelles, tissant des liens étroits avec nombre d’artistes et d’écrivains. Parmi eux, il noue une profonde amitié avec Paul Verlaine, qu’il représente à plusieurs reprisesen 1895 durant son séjour à l’hôpital Broussais, lieu de son décès en janvier 1896 (fig. 1). L’une de ses aquarelles symbolistes figurant l’écrivain est par la suite décrite et reproduite dans sa version gravée par Frédillo dans le numéro spécial que La Plume consacre en février 1896 à Verlaine. Issu d’un milieu fortuné, Graverol cultive son image de dandy désinvolte et esthète entièrement détaché des nécessités matérielles et quotidiennes et n’expose de ce fait qu’à de trèsrares occasions. Fêtard invétéré, il participe aux soirées organisées dans l’atelier de Nadar situées au 35 boulevard des Capucines, et fréquente le Chat Noir avec les poètes Charles Cros et Maurice Rollinat, ainsi que le chansonnier et auteur Léon Xanrof. Également familier des soirées de La Plume, il y fait la rencontre de Claude Debussy. D’un tempérament impulsif et passionné, il quitte la capitale peu après son mariage pour s’installer à Bruxelles après avoir dilapidé sa fortune privée aux jeux de cartes. Née en 1905 à Ixelles, sa fille l’artiste surréaliste Jane Graverol en dresse un portrait complexe, et souligne toute la part occulte et ésotérique que contient son œuvre : « Mon père était intelligent et cruel… aristocrate et anarchiste, croyant au pouvoir de l’envoûtement et de la télépathie, mystique sans religion, il avait, disait-il, eu des apparitions de la Vierge dans les rues de Paris... il avait le sens aigu de tout ce qui était supérieur dans les recherches de l’art... Il avait fréquenté l’avant-garde poétique de la fin du siècle, c’est-à-dire les Symbolistes ». Se tenant en Belgique éloigné de toutes manifestations artistiques, Graverol necompose plus que pour ses amis amateurs, collectionneurs ou relieurs des illustrations et des ex-libris qui dissimulent quelque peu sous l’élégance du trait son inquiétude et l’étrangeté de sa personnalité.
Les trois aquarelles que nous présentons peuvent par leur style être rattachées au milieu des années 1890, période la plus symboliste et sans doute la plus féconde d’Alexandre Graverol. Mêlant une multitude de symboles rigoureusement ordonnés et traités de manière synthétique, la première feuille(cat. n° 1) constitue un véritable hommage à Paul Verlaine. Dominant l’ensemble allégorique, le visage de l’écrivain apparait auréolé d’étoiles, tel une sainte face. Il est directement associé à l’absinthe, sa boisson favorite dont il reprenait lui-même le surnom affectueux de « fée verte ». Graverol personnifie le liquide en une femme nue à l’amplechevelure verte et à la chair verdâtre, faisant symboliquement corps avec la lyre ornée de fauves du poète, dont les cordes jaillissent de ses seins pour se diriger verticalement vers le verre de spiritueux disposé dans l’axe, non loin des plantes à fleurs qui en sont à l’origine, avant macération et distillation.Il semble que le dessinateur fasse en partie référence au poème que Verlaine consacre à l’absinthe, publié en 1870 dans La Bonne chanson :
« En robe grise et verte avec des ruches,
Un jour de juin que j’étais soucieux,
Elle apparut souriante à mes yeux
Qui l’admiraient sans redouter d’embûches ;
Elle alla, vint, revint, s’assit, parla,
Légère et grave, ironique, attendrie :
Et je sentais en mon âme assombrie
Comme un joyeux reflet de tout cela ;
Sa voix, étant de la musique fine,
Accompagnait délicieusement
L’esprit sans fiel de son babil charmant
Où la gaîté d’un cœur bon se devine.
Aussi soudain fus-je, après le semblant
D’une révolte aussitôt étouffée,
Au plein pouvoir de la petite Fée
Que depuis lors je supplie en tremblant. »
Devenu dépendant à l’absinthe, Verlaine décrit très bien comment cette drogue est parvenue, délicieusement, à l’emprisonner, conférant ainsi à notre aquarelle une dimensionsymbolique plus tragique.
En figurant une allégorie de la vigne, notre deuxième feuille fait référence à un autre alcool apprécié par les artistes : le vin. Dans l’atmosphère rougeoyante d’un paysage au soleil couchant, Graverol représente une bacchante à la chair rose et nue, encadrée de longs plants de vignes, coiffées de grappes. Pressant du raisin sur son sexe, elle laisse couler le long de ses jambes un jus qui, hydratant le sol, semble se transformer en d’étranges racines, non sans évoquer l’Isis sculptée de Georges Lacombe, parfaitement contemporaine.
Présentant la même plastique soigneusement cloisonnée et synthétique, à l’image des enluminures, la dernière de nos trois aquarelles rassemble quatre jeunes filles en costumes médiévaux dans un jardin idyllique garni de fleurs et de cyprès, ouvert sur un étang où glissent tranquillement un couple de cygnes. Bien qu’absent de la Bible, ces oiseaux blancs sont largement valorisés par les cercles symbolistes pour suggérer l’amour et la fidélité, en puisant dans les références mythologiques gréco-romaines ou germano-scandinaves. D’oiseau simplement noble, il devient pleinement royal, au point qu’à l’aube des temps modernes, en Angleterre et dans plusieurs pays d’Europe, il était interdit à quiconque n’est pas de sang royal d’en posséder.
Œuvres
Expositions
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