Né en Suisse et cofondateur de la Sécession de Munich aux côtés notamment de Franz von Stuck. À l’ère wilhelminienne, sous l’influence de la musique de Chopin et de Wagner, il a peint des intérieurs et des sociétés, des portraits et des nus, de grand style et de grand format. Keller observait des séances de spiritisme et était fasciné par les états d’hypnose. Son motif préféré était le monde féminin se libérant du corset – les actrices, les danseuses et les médiums. Plutôt comparable à Auguste Rodin dans son expression, il maîtrisait un large répertoire: tout en s’inspirant de l’impressionnisme, il choisissait des motifs des symbolistes et parvint à un langage des couleurs et des formes, qui sera plus tard qualifié d’expressionniste par Munch, Kirchner ou Beckmann.
L’art de Keller livre une peinture de mœurs chatoyante de l’ère wilhelminienne et de la Belle Époque. Son œuvre comportant plus de 1000 travaux parachève les courants de l’Art nouveau. Le registre de ses possibilités d’expression était époustouflant; il allait du son mélodieux et plein de charme aux tons dissonants les plus étonnants. Les critiques d’arts de l’époque le considéraient comme le romantique moderne par excellence. Cependant son mode de vie ne correspondait pas à celui d’un poète indigent. Marié à la fille du fondateur de la Bayerische Hypotheken- und Wechselbank, il s’était installé dans le meilleur quartier de Munich et fréquentait les cercles les plus éminents. Connaissant la réussite sociale, bardé de prix et de décorations, il considérait «les femmes magnifiques et d’un œil neuf», comme l’écrivit Fritz von Ostini en 1914 dans le magazine «Jugend». Keller dépeignait le monde élégant des dames, leurs habits affriolants, leurs toilettes à la mode. Son portrait de la dernière tsarine, le plus beau qui ait été fait d’elle, en est une illustration brillante. Mais les personnalités ne sont pas toutes représentées ainsi, de façon conforme à leur rang.
Keller a observé les phénomènes occultes dans le cabinet du psychiatre Albert Baron von Schrenck-Notzing. Il a documenté les effets du somnambulisme sur le visage humain et décrit les corps sous hypnose. Vers 1900, l’intérêt pour l’occultisme était l’un des phénomènes partagé par toutes les couches sociales. Il captivait autant les scientifiques comme Pierre et Marie Curie que plus tard des artistes et des poètes de la lignée d’un Thomas Mann ou les charlatans affamés de sensations. Le légendaire médium italien Eusapia Palladino se retrouve dans les univers de Keller tout autant que la tant admirée Madeleine Guipet, danseuse à l’état de sommeil hypnotique. Lorsque Keller adhéra en 1886 à la société munichoise de psychologie nouvellement créée, il eut la chance de pouvoir sonder la mimique, la gestuelle et les excitations provoquées par divers niveaux de conscience. Dans ses peintures, il a rendu publics ces états d’âme qu’on estimait impossibles à peindre, sans pour autant les faire apparaitre ridicules. Keller découvrira donc dans la mystique et le somnambulisme une nouvelle source d’inspiration comme le montre son œuvre majeure, la Résurrection de la fille de Jaïre (1886, Munich, Neue Pinakothek.), et ses nombreuses études exécutées dans les dépôts mortuaires. Une psychologie de l’horrible et de l’extase est mise en scène à grand renfort de moyens théâtraux, et les peintures de sorcières au bûcher ou de charmeurs de serpents.
Les premières expositions de Keller remontent à 1870. Il est souvent allé en France et a fréquemment participé au Salon à Paris. Il est le cofondateur de la Sécession de Munich en 1892. En 1908 l’association des artistes de Munich a organisé une exposition avec 145 travaux. Ce fut un événement aussi bien artistique que social. Traité en son temps comme un peintre important, Keller tomba dans l’oubli après sa mort. Cent ans plus tard a lieu à Zurich la première exposition monographique dans un espace muséal. Elle donne l’occasion de redécouvrir l’œuvre de Keller. Une œuvre riche de passion sensuelle, de conjurations ascétiques et de visions mystiques. Ses oeuvres sont conservées principalement au Kunsthaus de Zurich, au musée de Bâle, à la Neue Pinakothek de Munich, ou à la Kunsthalle de Hambourg.
Si les tableaux de Keller passaient pour modernes au moment de leur réalisation et furent exposés comme tels, ils sont aujourd’hui utiles pour aider à la compréhension des avant-gardes modernes. Car à la différence d’Albert von Keller, qui était plus un gardien qu’un novateur, les fauves, les cubistes et les dadaïstes s’opposèrent à la Fin de Siècle et se rebellèrent contre l’hédonisme, la mélancolie et l’égocentrisme de la haute bourgeoisie, à laquelle Keller et son entourage appartenaient.