Présentation
Né Victorien Fabien Vieillard, Fabien Launay signe ses tableaux et dessins du nom de jeune fille de sa mère, RoseLaunay, par opposition à son père Louis Vieillard, premier clerc de notaire aux Batignolles, qu’il rejette violemment dès lors qu’il embrasse sa carrière artistique. Scolarisé à partir de 1888 au Lycée Condorcet, il y rencontre le futur poète et critique d’art hongrois Maurice Cremnitz ainsi que le futur peintre et designer Francis Jourdain avec qui il se lie d’amitié. Ensemble, les deux jeunes hommes se destinent rapidement à la peinture et courent les galeries parisiennes, notamment le Barc de Boutteville, d’où émergent alors les nabis, et la petite échoppe du père Tanguy, rue Clauzel, où ils découvrent les œuvres de Vincent van Gogh. Âgé de quinze ans, Launay fonde avec Louis Lormel et Cremnitz une petite revue, L’Art littéraire, en octobre 1892. En juin 1893, le jeune artiste y rédige un compte-rendu du salon de la Rose-Croix, puis en décembre un article sur Paul Gauguin. C’est à cette époque, autour de ce petit travail d’édition, qu’il réalise ses premières gravures sur bois et fait la rencontre d’Alfred Jarry et Léon-Paul Fargue. Après le lycée, Fabien Launay, comme son ami Francis Jourdain, s’inscrit à l’Académie Humbert et Gervex, boulevard de Clichy, et c’est dans ce quartier qu’il fait la connaissance de Georges Bottini avec lequel il partage un atelier, 19 rue des Moines. A partir de 1895, les deux amis exposent régulièrement au Salon des Indépendants. Ilsrencontrent ensuite le poète Saint-Georges de Bouhélier (dont Launay fait un portrait pour le n° 439 des Hommes d’aujourd’hui, en 1896), puis nouent une indéfectible amitié avec l’écrivain et journaliste Gaston de Pawlowski. En 1900, ils se lient également avec Pierre Girieud et une nouvelle bande d’artistes qui se réunissent au café de la Place Blanche, parmi lesquels Jacques Villon, Edmond Lempereur, FernandPiet, les écrivains Félicien Champsaur et Hugues Rebell. Bien que Fabien Launay soit parvenu à exposer un portrait au Salon de la Société Nationale des Beaux-arts de 1899 (cat. n° 862), ilest refusé en 1901 et milite dès lors en faveur de l’émergence d’un nouveau Salon des refusés, plus libéral et ouvert, sorte de préfiguration du Salon d’automne. Cette même année 1901, il expose en juin avec un collectif d’artistes regroupés au sein du Collège d’esthétique moderne dans un atelier rue de La Rochefoucauld, sous la houlette de Saint-Georges de Bouhélier. En août 1903, Gaston de Pawlowski et Launay composent un album entier pour L'Assiette au beurredémontant l'appareil de la justice par des dessins d’assise accablants et d’une grande puissance satirique. Le 6 décembre 1903, rongé par la tuberculose, Launay quitte Paris pour intégrer le sanatorium de plein-air de la ville d’hiver d’Arcachon, où il meurt le 27 février 1904, à l’âge de 26 ans. Après sa mort, Pawlowski parvient à réunir six œuvres afin de lui rendre un ultime hommage au Salon des Indépendants, parmi lesquelles une nature morte (cat. n° 1381).
« On retrouvera plus tard ses œuvres, elles seront recherchées, non seulement pour leur rareté mais aussi pour l’acuité de sa vision un peu sombre au service d’un dessin incisif ». Ces quelques mots consignés par Pierre Girieud peu après la disparition de Fabien Launay viennent mettre en exergue notre grande nature morte, récemment redécouverte. Signée et datée de 1902, elle fait partie des rares toiles, aux côtés du Tournesolaujourd’hui conservé au musée national d’art moderne (fig. 1), appartenant à l’ultime corpus d’œuvres de l’artiste, qui avait à la fin de sa vie suscité l’intérêt d’importants collectionneurs tels Olivier Sainsère ou la galeriste Berthe Weill. Launay a rassemblé sur une table couverte d’une nappe un petit livre à la reliure verte, une bouteille de vin, quelques fruits, une tasse de café et un large bouquet de chrysanthèmes rouges, oranges, jaunes et blanches. Si l’ordonnance des éléments paraît assez traditionnelle, la facture comme la gamme chromatique employée se veulent résolument modernes et hybrides. Alors que la nappe et la bouteille sont traités en larges aplats, au couteau, les fleurs accusent une fragmentation de la touche en épais bâtonnets, trahissant une certaine allégeance à la peinture de Van Gogh. Exactement comme dans son Tournesol(fig. 1), le fond est brossé de manière divisionniste en lignes verticales, conférant volontairement à l’ensemble un caractère plus vibrant. Autant d’éléments plastiques qui suggèrent que cette œuvre ait bien été présentée par Launay de son vivant. En 1902, l’artiste expose précisément deux natures mortes aux Indépendants (cat. n° 1022 ou 1023), puis quelques mois plus tard chez Berthe Weill (cat. n° 11). En effet, le temps d’une exposition, cette dernière réunit au mois de novembre Launay,Girieud, Picasso et Pichot, et certains critiques se montrent élogieux à l’égard de ces jeunes peintres encore en devenir, tel Charles Morice qui associe ainsi Launay à Picasso dans le Mercure de France :
« Deux Français, deux Espagnols ont réuni leurs plus récentes œuvres. Français? Espagnols? Dis-je bien vrai ? Non. Tous quatre, citoyens de Montmartre ! Patrie de leur désir, atmosphère de leurs travaux et de leurs ambitions, de leur art. Art jeune (je ne dis pas « l’art nouveau » !) avec ses audaces et ses bonheurs, ses faiblesses, ses dangers : la période de recherches en soi […] mais je ne sais rien de plus intéressant, de plus émouvant que cette sorte d’avant-l’aube des esprits, — rien, aussi, de plus significatif : si vous voulez connaître les directions présentes de l’art. […] Ce qu'ils produisent est bien d'un temps où la poésie des symbolistes et le roman des naturalistes sont contemporains. Il y a beaucoup de réalisme, de brutalisme même dans la peinture qu’on peut voir rue Victor-Massé, mais très bizarrement cette dévotion servile aux premiers dehors des êtres et des choses se combine avec un bel instinct décoratif. […]Chez Launay et Picasso, l’art se bute au négatif, ce mur où il est fatal que se brisent les générations sans amour ».
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