Présentation
Né en 1896 à Eger, en Hongrie, Ernest Klausz entreprend des études à l’École polytechnique de Budapest, avant que, encouragé par le peintre József Rippl-Rónai, il ne se formeparallèlement à la peinture, souhaitant associer étroitement art et technique. Mobilisé lorsqu’éclate la Grande Guerre, il est fait prisonnier sur le front russe et déporté en Sibérie. Rentré de captivité en 1922, il fuit le régime autoritaire instauré en Hongrie depuis 1920 par l’amiral Miklós Horthy, et se rend à Berlin où se trouve déjà une importante communauté d’artistes hongrois exilés. Parmi eux, le pianiste Alexander László, par ses recherches sur les relations entre musique et couleur, a semble-t-il exercé une influence décisive sur Klausz. Ce dernier reprend ses études de musique au conservatoire de Berlin-Charlottenburg et se forme à la décoration théâtrale dans les quatre théâtres d’État allemands de la ville. Il se nourrit vraisemblablement aussi des expérimentations esthétiques et visuelles du Bauhaus, alors diffusées à Berlin par des projections cinématographiques de formes colorées en mouvement sur de la musique composée spécialement à cet effet. Fréquentant assidûment les spectacles que lui propose la scène berlinoise, l’artiste participe à l’illustration deschroniques lyriques et dramatiques de certaines revues spécialisées. Face à la montée du nazisme, il quittel’Allemagne pour s’installer en 1931 à Paris, où il faitrapidement la rencontre décisive du peintre Henry Valensi et du directeur de l’Opéra, Jacques Rouché. En 1932, Klauszrejoint Charles Blanc-Gatti, Gustave Bourgogne et Vito Stracquadaini au sein du « groupe des peintres musicalistes » tout juste fondé par Valensi. Selon ses théories, la musique parce qu’elle est science, rythme et dynamisme, est l’art le plus à même d’exprimer les nuances et les subtilités de l’âme humaine. La couleur étant comme le son, vibration de matière, le peintre musicaliste est celui qui utilise sa matière d’art (la couleur, le trait, les formes) pour créer subjectivement une « musique » de couleur sur sa toile.
Notre grand pastel sur papier se rapporte à l’une des plus importantes réalisations musicalistes d’Ernest Klausz : le décor de La Damnation de Faust donnée à l’Opéra le 22 mars 1933 dans la version exacte de Berlioz. A laffût dinnovations scéniques, Jacques Rouché a pour cette nouvelle production fait appel au peintre hongrois pour traduire visuellement lœuvre sans trahir le poème musical. C’est Klausz qui parvient à convaincre Rouché d’utiliser des images projetéespour certains décors. Séduit quelques années plus tôt par les spectaculaires projections lumineuses de l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925, le directeur de l’Opéra donne son accord pour que le cinéma fasse irruption au palais Garnier. Les projections offrant la part de rêve nécessaire au décor, la fantasmagorie rejoint ainsi lillusion théâtrale. Tout comme dans certaines planches gouachées conservée à la bibliothèque-musée de l’Opéra (fig. 1), notre maquette illustre tout ce que Klausz doit à son expérience allemande. Outre un certain expressionnisme, l’ensemble évoque en effet l’esthétique des mises en scènes berlinoises des années 1920, ainsi que des films de Friedrich Wilhelm Murnau. Toutefois, bien que particulièrement novatrice, cette mise en image reçut un succès mitigé, et cela tint selon Klauszen partie au fait que Rouché ait souhaité conserver, contrairement à lemploi exclusif des projections dans les théâtres allemands, lancien dispositif théâtral : un cadre, drapé de rideaux noirs, et deux niveaux sur lesquels évoluent les personnages de cette légende dramatique.
Œuvres