Présentation
« Delannoy ne fut pas qu’un simple sociétaire des Indépendants, il fut, dans son art et dans sa vie, l’Indépendant— combattant sans souci de lucre ou d’arrivisme pour ce qu’il croyait être le bien, travaillant ce qu’il croyait être le beau. Aussi digne comme homme que comme artiste, il a manifesté dans tous ses actes, dans toutes ses œuvres une liberté ferme et intransigeante ». C’est en ces termes élogieux que, dans les colonnes des Hommes du jour, Paul Signac rend un vibrant hommage au peintre Aristide Delannoy, tout juste décédé à seulement trente-sept ans de la tuberculose. Né à Béthune dans un milieu assez modeste de petits commerçants en horlogerie, le jeune homme, atteint de surdité, développe très tôt une véritable vocation pour la peinture. Après avoir suivi les cours de dessin et de peinture de Pharaon de Winter à l’École des beaux-arts de Lille, il intègre en 1897 l’atelier de Léon Bonnat à l’École des beaux-arts de Paris. Dès l’année suivante, il expose pour la première fois au salon des Artistes français mais, obligé de subvenir à ses besoins, il s’essaie à l’affiche pour des cafés parisiens, avant de mettre son talent au service de la presse amusante et satirique. Ses premiers dessins paraissent ainsi à partir de 1900 dans le Gil Blas Illustré, Le Pêle-Mêle, Le Frou-Frou, Le Petit Illustré amusant ou Le Sourire. De sensibilité anarchiste, il publie également des caricatures dans des journaux plus engagés comme L’Assiette au beurre dès 1901, et collabore avec de nombreuses revues libertaires et antimilitaristes, parmi lesquelles Les Temps nouveaux et La Guerre sociale. C’est à cette époque qu’il se lie d’amitié avec Charles Angrand et Maximilien Luce. Vraisemblablement introduit par ce dernier dans la bande de Jean Grave, il devient le dessinateur attitré des Hommes du jour, réalisant près de cent-cinquante couvertures qui sont autant de satires au vitriol des plus importantes personnalités de son époque (fig. 1). Plusieurs fois inquiété par les autorités, Delannoy est fiché et inscrit au "carnet B" par la préfecture de police dès 1903 comme « socialiste révolutionnaire et antimilitariste ». Cela ne l’empêche pas d’exposer ses œuvres aux Indépendants de 1902 à 1906, ainsi qu’au Salon d’Automne et à la Société Nationale des Beaux-arts en 1904. Lui-même originaire du nord, il étudie sur le motif l’âpre quotidien des « gueules noires », tant pour ses toiles que pour L’Assiette au beurre, allant jusqu’à couvrir la catastrophe minière de Courrières en 1906 en compagnie des peintre Jules Grandjouan et Ricardo Florès.
Daté de 1902, notre saisissant portrait d’homme au profilbarbu de condottiere, coiffé de son bonnet d’artiste, offre un parfait exemple de la maîtrise technique acquise par Aristide Delannoy au début du siècle dernier. L’emploi de couleurs vives, d’une touche large et amples rapidement brossée à laquelle s’ajoute un pointillisme assumé justifie que la critique d’avant-garde ait pu régulièrement associer le peintre à Signac, Luce, Angrand ou Henri-Edmond Cross, « les vrais indépendants, ceux qui n’ont jamais consenti à soumettre leurs œuvres au jugement d’un quelconque aréopage ».
Œuvres